Le projet de Loi 59 : toujours aussi discriminatoire envers une majorité de travailleuses

Lettre ouverte au ministre Jean Boulet

M. Jean Boulet,

En tant que ministre du Travail, vous êtes porteur des derniers développements du projet de loi 59 (PL59) : la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité au travail. Après des mois d’étude en commission parlementaire et à l’approche de son adoption, nous sommes plusieurs à vous écrire aujourd’hui pour réitérer que votre projet de loi demeure discriminatoire et préjudiciable pour une majorité de travailleuses. Voici pourquoi.

Lorsque vous avez déposé votre projet de loi, nous étions déjà plus d’une soixantaine à vous le dire : minimiser les risques pour les travailleuses est sexiste. Cette sous-reconnaissance faisait en sorte que 69,3% des femmes contre 50,2% des hommes se retrouvaient dans les secteurs considérés à faible risque, où  étaient prévues des dispositions allégées concernant la prévention et la participation des travailleuses.  Nous le savions parce que nous avions appliqué une analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+). Cet outil indispensable, d’ailleurs financé et encouragé par votre propre gouvernement, permet encore aujourd’hui, d’illustrer les effets discriminatoires du PL59.

En retirant ce critère sexiste, vous avez du même coup retiré les dispositions prévoyant le nombre de membres et la fréquence des réunions des comités et le nombre d’heures minimales consacrées à la prévention de nos travailleuses. C’est finalement le Conseil d’administration de la CNESST qui devra adopter les dispositions à cet effet, dans un délai de trois ans. Les travailleuses se retrouvent généralement perdantes, en ayant moins de mécanismes de prévention que dans la loi initiale. Ce n’est pas la modernisation à laquelle s’attendaient les travailleuses du Québec depuis les quarante dernières années.

La CNESST a toujours eu le pouvoir d’étendre ces mécanismes de prévention et de participation à tous les secteurs, mais ne l’a jamais fait. M. Boulet, il semblerait que vous ayez choisi d’abdiquer votre responsabilité, en maintenant la discrimination. Les mesures transitoires annoncées (d’ici à ce que la CNESST tranche) représentent un recul par rapport à ce qui est prévu dans les secteurs, majoritairement masculins, où de tels mécanismes, déjà appliqués, ont permis de réduire les risques. 

Enfin,  votre projet de loi représente des reculs importants pour celles qui sont malades ou victimes d’un accident. Par exemple, il est discriminatoire envers les travailleuses domestiques qui devront travailler un certain nombre d’heures pour un seul particulier afin d’être couvertes par le régime d’indemnisation. C’est la seule catégorie d’emploi exclue, alors que ces femmes doivent travailler dans des conditions dangereuses et difficiles. Par ailleurs, les femmes épuisées psychologiquement par leur travail, auront encore autant de difficulté, sinon plus, à recevoir le soutien dont elles ont besoin du régime d’indemnisation.

Cette discrimination envers les femmes aurait pu être évitée si vous aviez appliqué l’ADS+, une analyse qui vise à révéler les besoins propres des personnes en raison, notamment, de leur sexe et ce, afin d’éviter les dispositions discriminatoires et sexistes. Vous avez refusé d’amender la Loi pour que la CNESST ait l’obligation, avant l’adoption d’un règlement, de procéder à une telle analyse. Pourquoi ?

Il nous paraît évident que la solution pour éliminer la discrimination envers les travailleuses est d’appliquer cette analyse au régime québécois de santé et de sécurité du travail. En novembre 2020, vous avez déclaré que la réforme dudit régime en serait une pour les travailleuses. À vous, Monsieur le Ministre, de le démontrer.

Signataires :

Au Bas de l’échelle

Association féminine d’éducation et d’action Sociale

CSN

Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail

Comité féminismes et droit UQAM – La Collective

FAE

FIQ

Front de défenses des non-syndiqués

Mouvement action-chômage

Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale

SFPQ

SPGQ

Syndicat des professeures et professeurs de la Télé-université

Syndicat des Métallos

Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades

Ana Maria Seifert, PhD en santé communautaire

Anne Renée Gravel, professeure, TÉLUQ

Caroline Brodeur, avocate

Frédéric Barrette, artiste-peintre

Geneviève Baril-Gingras, professeure, Université Laval

Hélène Sultan-Taïeb, professeure, UQÀM

Johanne Saint-Charles, Institut Santé et société –  Groupe-Réseaux

Justine Lafontaine, enseignante

Karen Messing, professeure, UQÀM

Marie-Eve Major, professeur, Université de Sherbrooke

Marie Laberge, professeure, Université de Montréal

Maxine Visotzky-Charlebois, avocate

Mélanie Lefrançois, professeure, UQÀM

Nicole Vézina, professeure, UQÀM

Shanie Roy, juriste

Stéphanie Bernstein, professeure, UQÀM